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mercredi 12 mars 2014

Une Mère féroce (yoginī)

Extrait de Manimekhalai ou le scandale de la vertu, traduit par Alain Daniélou (pp. 65-66)

105-126 « Un jeune brahmane appelé Shankalan était entré un soir dans le cimetière, croyant, à la vue de ses murs, qu’il s’agissait de l’entrée d’une ville. Alors qu’il s’y promenait seul, il se trouva tout à coup en présence d’une sorcière [S. mātṝkā T. ma mo] qui dansait sur une estrade comme dans un théâtre. Ses membres étaient enduits de la cendre de corps qui, jadis, avaient rayonné de beauté. Tenant dans sa main une tête de mort noircie par le feu, elle riait aux éclats. Ses cheveux épars entouraient son visage comme un sombre nuage, ses yeux semblaient grands comme des carpes, son nez un bouton de gardénia, ses lèvres étaient rouges comme les fleurs de l’arbre corail, ses dents blanches luisaient comme des perles. Sans nulle pitié pour la tête du mort, elle lui arracha les yeux et les dévora puis se mit à danser avec allégresse sur ses pieds fourchus, au son d’un étrange orchestre au rythme envoûtant formé de cris qui se mêlaient. L’ensemble vocal était constitué par les hurlements des chacals qui festoyaient en dévorant les pieds d’un corps dont les entrailles étaient déjà la proie des vers, rappelant à tous ceux qui avaient aimé ce corps, lorsqu’il était vivant, qu’il n’était fait que de chair, d’os et de sang. Le cri prolongé des harpies ayant arraché et dévorant des organes virils qui, dans la vie, sont voilés d’un morceau d’étoffe évoquait le son perçant des hautbois rythmé par les aboiements répétés des chiens tenant dans leurs mâchoires de petites mains dont ils brisaient les bracelets de verre, et scandé par les cris des grands vautours à la tête blanche et au corps brun, toujours affamés, qui dévoraient de jeunes seins encore enduits de pâte de santal.

127-131 « Seul dans la nuit, le jeune brahmane assista à la scène et, quand la sorcière s’approcha de lui, il s’enfuit terrifié et eut juste le temps de courir auprès de sa mère pour lui dire qu’un esprit malin qu’il avait eu le malheur de voir s’était emparé de sa vie, et il tomba mort.

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