Rechercher dans ce blog

mercredi 19 mars 2014

Dupuis sur l'astrologie indienne




Extrait du Mémoire explicatif du zodiaque chronologique et mythologique par Charles-François Dupuis. Passage concernant l’astrologie indienne. Version éditée par De Sphaeris.

Ce que j’en ai dit ici suffit pour m’autoriser à chercher dans le ciel, dans le Soleil, dans la Lune, dans les astres, planètes ou fixes, l’origine ou le sens de beaucoup de fictions sacrées des peuples de l’Inde.

C’est là ce que proprement les Indiens appellent leur astronomie poétique et allégorique qui, suivant eux, ne doit pas être confondue avec la véritable astronomie [140] ou avec l’astronomie pure. Ils disent qu’il ne faut pas confondre le langage des Djyantichicas, ou astronomes mathématiciens, avec celui des Pouranichas, ou des fabulistes poétiques, que c’est uniquement à cette confusion qu’il faut imputer les erreurs nombreuses des Européens au sujet des sciences indiennes.

Les partisans des Pouranas [141], qui soumettent toute la nature à un système de mythologie emblématique, supposent qu’une nymphe céleste préside à chacune des constellations et que le dieu Soma, ou Lunus, ayant épousé douze d’entre elles, donna naissance à douze génies, ou mois, qui portent le nom de leurs mères. Effectivement, ces noms se tirent des douze natchtrons [nákṣatravoir le début des notes] où la Lune de chaque mois est pleine. Tel est le sens de cette allégorie.

C’est parce que le génie poétique personnifiait ainsi tout dans l’Univers que Chumonton, dans l’Ezour-Vedam, reproche à Biache, qui parle d’après les fictions sacrées de l’Inde, d’avoir donné des figures d’hommes au Soleil, à la Lune, aux étoiles et de les avoir personnifiés. C’est un pareil reproche qui a été fait aux Grecs et aux Romains par les ignorants adversaires de leurs fictions sacrées, qu’eux-mêmes n’entendaient pas assez pour les défendre et pour expliquer les allégories qu’elles renfermaient. Après avoir bien caractérisé ici le génie poético-allégorique qui a donné naissance à ces fables des Indiens, et qui a servi de principe de composition aux statues souvent bizarres de leurs divinités, nous allons prouver par quelques exemples l’usage qu’on peut faire de notre tableau pour les analyser.


Les Indiens ont leur dieu Kartikeya, qu’ils représentent ayant six visages et assis sur un paon. Dans chacune de ses mains est un attribut du dieu de la guerre.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur notre tableau pour reconnaître que ce dieu est le génie qui préside au troisième natchtron, qui contient les Pléiades, et qu’on nomme Krittikā, celui qui donne son nom au mois marqué par le coucher des Pléiades et dans lequel était pleine la Lune de la fin d’octobre.

On verra que les étoiles qui répondent à ce natchtron sont au nombre de six, c’est l’hexastron des Pléiades [142], et que le paon est l’oiseau affecté à ce natchtron. Les Pléiades sont sur la fin de la constellation du Bélier, domicile de Mars, dont le signe caractéristique accompagne l’animal céleste, Bélier, gravé dans ce tableau. Telle est l’origine des attributs militaires qu’on lui donne. C’est ainsi que, dans la sphère de Bianchini, le premier décan du Bélier, qui est affecté à la planète de Mars, est représenté avec une arme. C’est une hache et il est placé sous la planète de Mars, qui a la pique.

Les six faces représentent les six étoiles des Pléiades car, quoiqu’on en compte souvent sept dans les écrits des poètes, on n’en voit véritablement que six [143]. Quœ septem dici, sex tamen esse solent

Aussi les brâhmanes ne mettent-ils dans ce natchtron que six Pléiades, comme on peut le voir dans notre tableau.

Hyde, dans son Commentaire sur Ulugh Beigh, nous dit que les Coptes les appellent les six astres [144].

Le Paon fut sans doute affecté à cette constellation parce qu’elle forme une espèce d’éventail semé d’étoiles comme la queue du Paon. Ce sont les yeux de l’Argus grec, aussi M. Jones reconnaît-il entre Argus et Kartikeya une grande ressemblance.

L’Argus indien accompagne une déesse qui a la plupart des caractères de l’Isis égyptienne ou de l’Io des Grecs, changée en vache, placée dans le Taureau céleste près des Pléiades et adorée comme Isis à tête de Taureau en Égypte.

La conjecture de M. Jones est fondée et le Kartikeya des Indiens est réellement l’Argus des Grecs, l’Argus aux cent yeux, surveillant de la Lune du Taureau appelée Io dans la langue des Argiens et Isis en Égypte. Voici l’explication de la fable de l’Argus grec, qui n’est qu’une copie de l’Argus des Indiens.

Pendant plusieurs siècles, lorsque l’équinoxe de printemps était dans le second natchtron ou dans Bharanī, la Lune ou la néoménie équinoxiale paraissait pour la première fois dans le Taureau céleste, un peu au-dessus des Pléiades ou de Krittikā. Voilà le surveillant d’Io ou de la Lune, car Io était le nom de la Lune dans la langue des Argiens. Les images de la Lune prenaient donc les formes du signe céleste où elle se montrait pour la première fois. Tant que les Pléiades n’étaient point couchées héliaquement, c’est-à-dire tant que le Soleil ne s’en était pas assez approché pour les absorber dans ses rayons, on voyait aux portes de la nuit ou au couchant les Pléiades aux six faces. Elles paraissaient veiller sur l’inégal cours des nuits qui, ce mois, portait les attributs de la constellation où elle avait pris naissance et du génie qui présidait au mois du Taureau. Mais lorsque le Soleil s’était assez avancé pour éclipser de ses feux les surveillantes d’Io ou les Pléiades, et pour les absorber dans ses rayons pendant quarante jours, comme le dit Hésiode [145], alors Io n’avait plus de surveillant. On la voyait parcourir le ciel en liberté et reprendre le mois d’après une nouvelle forme qui n’était plus celle du Bœuf.

Cette disparition des Pléiades arrivait au lever héliaque de Persée placé au-dessus d’elle, de Persée qui a tous les attributs du fils de la Pléiade Maia, ou de Mercure, fils d’une Atlantide, car il naissait de la conjonction du dieu du jour avec les filles d’Atlas. Comme Mercure, il a les talonnières, le pétase et il porte le harpé, ou l’instrument tranchant dont se servit Mercure pour couper la tête d’Argus. Voilà l’origine de la fiction qui suppose qu’un génie ailé, armé du harpé, ayant des talonnières et un pétase, tua les surveillantes ou le génie surveillant de la Lune ou d’Io, dans la forme de Taureau qu’elle prenait au printemps.

C’est là ce phénomène astronomique qui, pendant plusieurs siècles, tous les ans, fut observé et fut chanté par les Prêtres du Soleil et de la Lune. Voilà le sujet de cette fiction astronomique dont on trouve la clé dans notre tableau par les rapports qu’il offre entre le Kartikeya monté sur le Paon, ce gardien d’une déesse qui a tous les caractères de l’Isis égyptienne, et l’Argus des Grecs, gardien d’Io, qui devint l’Isis égyptienne, enfin d’Argus, dont les yeux furent placés sur la queue du Paon par Junon, tandis que les formes de vache qu’avait Io restèrent au signe céleste qu’elle avait quitté et près duquel brillent les Pléiades.

Macrobe a soupçonné les rapports qu’a cette fiction avec la marche du Soleil qui éclipse les étoiles de ses feux. Mais c’est à tort qu’il a étendu à toute la voûte azurée le nom d’Argus, qui ne s’applique ici qu’aux Pléiades ou aux astres du printemps, placés sur la fin de la constellation du Bélier et près du Taureau dans lequel toute l’antiquité a vu le signe ou la forme d’Io [146] ou de la Lune, qui y a son exaltation.

Persée porte une arme, par la même raison qui en fait donner une à Mithra en Perse [147] et à Kartikeya en Inde. C’est parce qu’il tient au domicile de Mars. On prétend que du commerce du dieu de la lumière avec Io ou avec la Lune, sous la forme d’Io, était né Épaphus, le même qu’Apis. Or, nous avons prouvé dans notre grand ouvrage qu’Apis, représenté par le Bœuf, qui portait sur l’épaule le croissant de la Lune, était un emblème relatif à la néoménie équinoxiale sous le Taureau céleste [148]. On peut consulter notre article [149]. C’est ce croissant qui est entre les cornes du Taureau dans le Zodiaque de Dendérah.

Cet Épaphus, fils d’Io, défie Phaéton ou le Cocher porte-chèvre qui suit Persée dans le ciel, comme la fable de Phaéton suit celle d’Argus dans Ovide. Nous avons fait remarquer ailleurs la liaison que devaient naturellement avoir entre elles ces deux fables [150].

Nous trouvons ici une nouvelle preuve de cette liaison qui prend son origine dans l’astronomie.

En effet, le même natchtron qui renferme le Paon que monte Kartikeya chez les Indiens, et dont la queue est semée des yeux d’Argus chez les Grecs, renferme aussi la Chèvre que porte le Cocher ou Phaéton, comme on peut le voir dans notre tableau. Elle est le quadrupède affecté au même natchtron, auquel est affecté l’oiseau Paon. Ovide, sans doute, ne savait pas que ces fables fussent liées entre elles par les mêmes rapports qui les unissaient dans le système astrologique des Orientaux, mais il suivait un ordre qu’y avaient mis les anciens mythologues, dont les ouvrages servirent de base aux siens.


Si l’on fait mouvoir le globe jusqu’à ce que le point équinoxial d’automne, alors au Scorpion, vienne se placer au méridien, on verra à la suite du Cocher passer successivement l’Ourse céleste, Arcas son fils, ou le Bootes au nord, et vers le midi le Corbeau, le centaure Chiron, enfin sur le point équinoxial même le Serpentaire Esculape. Ce sont là précisément les tableaux qu’Ovide nous présente successivement, et dans le même ordre, dans le second livre de ses "Métamorphoses". Il nous ramène au Loup céleste, constellation d’automne, d’où il était parti en décrivant la dégradation de l’espèce humaine et des âges, qui nécessita la destruction de l’ancien ordre de choses pour ramener un nouvel ordre au printemps suivant lorsque le Soleil devint amoureux du laurier, sous la forme duquel il métamorphosa Daphné. Cet événement suit le passage du Soleil au Verseau ou au signe d’hiver, dans lequel on plaçait Deucalion chez les Grecs, Tchuen-Heu chez les Chinois et Satyavrata chez les Indiens. Tout se tient dans cette série de fables, comme dans la succession des tableaux de la sphère.

Si nous passons au quatrième natchtron Roguemi ou Rohinī, nous reconnaîtrons qu’il est aussi le sujet de fictions sacrées chez les Indiens.


Ce natchtron renferme les cinq étoiles Hyades, dont la plus brillante est Aldébaran ou l’œil du Taureau. Le Serpent est l’animal qui lui est affecté et on sait que chez les Grecs Hyas, frère des Hyades, mourut piqué par un serpent [151], que Bacchus, nourri par les Hyades, avait aussi pour attribut le Serpent, que Proserpine était née des amours de Jupiter métamorphosé en taureau et qu’ensuite Jupiter, métamorphosé en serpent, l’avait rendue mère de Bacchus [152]. Nous avons expliqué cette fiction à notre article de la Couronne boréale.

Pareillement, le Bacchus indien [153] était fils de Rohinī ou des Hyades, nourrices de Bacchus. Dans la fable de l’incarnation de Vishnu en Krishna, ce dieu ne consent à prendre cette nouvelle forme, qu’autant que son Serpent s’incarnera au sein de Roguemi, ou de ce quatrième natchtron. On voit aisément qu’il fait allusion au Serpent qui est affecté à ce natchtron, par les raisons que nous avons données plus haut [154].

On observait avec grand soin dans l’Inde les conjonctions de la Lune avec Rohinī, ou son passage dans ce natchtron [155], comme on observait le retour de Saturne à ce même Taureau chez les anciens peuples de la Bretagne [156].

La néoménie qui arrivait à l’équinoxe de printemps, lorsqu’il était dans le second natchtron Bharanī ou Bhavani, tel qu’il est indiqué dans le Surya Siddhanta, devint la Vénus indienne ou la Déesse de la création, Bharanī ou Bhavani. Cette maison a dans notre tableau pour emblème l’Yoni, le principe passif ou l’organe féminin de la génération. On lui affecte l’Éléphant, comme on affectait la Chèvre et le Paon à Kartikeya.

On consacrait aussi l’Yoni à la Déesse Bhavani et l’on portait en pompe son image sur l’Éléphant.

On célébrait sa fête près des deux équinoxes, en mars et en septembre, sans doute parce qu’en mars elle était nouvelle dans ce natchtron et qu’elle y était pleine en septembre.

C’est ici l’occasion de parler de l’usage qu’on peut également faire de notre tableau pour trouver la raison de la célébration des fêtes indiennes, de leur objet et des cérémonies qui y avaient lieu. Il sera nécessaire pour cela d’examiner non seulement sous quel natchtron se célébrait la fête, mais encore sous quel signe du Zodiaque.

Ainsi l’on verra, du premier coup d’œil, l’origine de la fête de la Purification par l’eau qui a lieu au mois Māci, ou en février, le Soleil étant au Verseau et la Lune étant pleine dans le neuvième natchtron, ou dans Āshleshā, ancien solstice d’été. Ce natchtron répond aux étoiles du Lion. C’est la fête de Narsingha ou du dieu aux formes de Lion. On y prie aussi pour les morts. C’était aussi le mois des expiations chez les Romains, qui ont beaucoup emprunté, ou plutôt Pythagore pour eux, du Kali des Indiens, ou de leur connaissance du temps, quoiqu’ils aient plutôt pris pour règle les levers et les couchers d’étoiles. C’était aussi en Mekhir chez les Égyptiens que se faisaient les lustrations [157].

La Lune qui avait été pleine dans le neuvième natchtron, le lendemain se trouvait au dixième natchtron Maghā. C’était sous ce natchtron qu’on célébrait la fête dont nous venons de parler. C’était donc dans le natchtron opposé à Āshleshā que se trouvait le Soleil le jour de l’opposition. Ce natchtron est Dhanistha, ancien solstice d’hiver. Sept jours après, ou dans sa quadrature, elle se trouvait près l’étoile Rhoini, dont on observait si soigneusement la conjonction avec la Lune. Sous Rohinī, on voit dans notre tableau pour emblème un Chariot, vraisemblablement celui que conduit le cocher Phaéton placé au-dessus et qui se lève avec Rhoini. Le septième jour après cette nouvelle lune, ou dans sa quadrature, le calendrier indien marque la fête de Randan Satami ou septième. On y fait Pongol pour le Char du Soleil, et Randan signifiant Char [158].

Voilà donc des fêtes qui ont des rapports bien marqués avec les positions du Soleil et de la Lune dans les constellations du Zodiaque et dans celles des natchtrons qui y répondaient.

Au mois Tai, qui correspond à janvier, époque à laquelle le Soleil remonte vers le nord, le premier du mois, il y a Pongol. C’est la plus grande fête des Indiens qui y célèbrent la renaissance du Soleil et son retour vers le nord. Cette fête dure deux jours. Le premier jour est le Peroun Pongol ou grand Pongol. On fait bouillir du riz avec du lait et dès qu’il bout, on crie Pongol. Le lieu de cette cérémonie est purifié avec de la bouse de vache. On présente ce riz aux dieux et l’on en mange après.

Le second jour est le Maddou Pongol, ou Pongol des vaches. On peint les cornes de ces animaux, on les couvre de fleurs et on les fait courir dans les rues. Nous avons déjà rappelé le rapport qu’avait cette cérémonie à celle des Égyptiens qui faisaient faire sept fois le tour du temple à la vache sacrée à la même époque du solstice d’hiver, ainsi que les réjouissances auxquelles donnait lieu le retour du Soleil qui s’acheminait de nouveau vers nos régions boréales. En Inde, on jette des sorts pour connaître les événements de l’année qui commence. Le soir, on fait des visites et des souhaits, comme chez nous. Ces fêtes durent huit jours.

Dans le mois Addi, ou juillet, au onzième natchtron nommé Pūrva Phalgunī, qui répond à la fin du Lion, domicile du Soleil, on célèbre la fête d’Addi, ou du Soleil, en honneur de Pārvatī, la Cybèle des Indiens, que l’on promène dans un char. On sait que Cybèle présidait au Lion dans la classification des douze grands dieux dans les signes. Nous croyons que cette déesse pourrait être la Magna Mater, ou la Grande Ourse, le Chariot placé sur le Lion et qui passe avec lui au méridien. De là ce char et ces lions qui y sont attelés.

Et juncti currum Dominæ subiere leones. (Virg., Énéid. 3, V.113.)


Au moins est-il certain que les Crétois, qui adoraient les Ourses célestes ou les déesses-mères, leur avaient bâti en Sicile un temple à Engyum [159] que Cicéron dit être le temple de Cybèle, ou de Magnæ Matris [160] : il l’appelle aussi Idea mater. Il est également certain que Cybèle avait son temple à Cyzique, sur le mont des Ourses [161], ainsi appelé des nourrices de Jupiter, changées en ourses.

Il est aussi certain qu’on attribuait aux déesses-mères adorées à Engyum, ou aux Ourses célestes, le pouvoir d’inspirer la fureur, comme on l’attribuait à Cybèle [162], dont les prêtres partageaient ce délire furieux.

Mégalê, ou Magna, est aussi le nom de la Grande Ourse, comme celui de Cybèle, en honneur de laquelle on célébrait à Rome les fêtes appelées Mégalesia vers le 4 avril, époque à laquelle l’Ourse dépassait le méridien inférieur et remontait vers le zénith.

Dans le cirque où se donnaient les fêtes solaires, à Rome, on avait retracé les images de la grande et de la petite Ourse [163].

Tertullien dit qu’on y avait représenté la mère des dieux dans l’Euripos, ce qui rentre dans la même idée, à savoir que la mère des dieux et la Grande Ourse ne sont que la même divinité Magna Mater.

Porphyre appelle les Ourses célestes les mains de Rhéa ou de Cybèle [164].

La déesse Cybèle errait sur les montagnes, comme on voit aussi les ourses du côté du nord raser le sommet des montagnes sans se coucher. Callisto, changée en ourse, erre aussi sur les montagnes.

La déesse Pārvatī des Indiens est aussi appelée souveraine des montagnes, déesse née des montagnes [165].

Je pourrais multiplier les traits de ressemblance qu’il y a entre la Pārvatī des Indiens et la Cybèle des Phrygiens, et leurs rapports avec la constellation de l’Ourse céleste et celle du Lion placé au-dessous, et auquel préside Cybèle, de manière à pouvoir conclure que si elle n’est pas l’Ourse, elle ne peut être que la Lune d’un mois qui se lie à l’Ourse, soit par son ascension au-dessus de l’horizon lors de la néoménie équinoxiale du Taureau, soit par son passage au méridien dans la néoménie solsticiale qui arrivait dans le Lion, dont cette Lune pût emprunter les attributs, ainsi que ceux du grand Chariot.

Nous n’avons insisté sur cette ressemblance qu’afin de faire voir combien l’étude de la mythologie indienne peut jeter de jour sur celle des Grecs.

La Lune du mois Kārttika, ou du huitième mois indien, est pleine dans le troisième natchtron Krittikā, qui lui donne son nom, ou près des Pléiades. Le jour ou la veille de cette pleine lune commence la fête de Paor-Nomi, ou du neuvième jour. C’est la grande fête du temple de Tirouna-Maley [Tiruvannamalai], dans lequel Shiva, dieu aux formes de taureau, descendit en colonne de feu. On allume un grand feu sur le sommet de la montagne où est le temple et on y rend un culte au feu. Si l’on jette un coup d’œil sur notre tableau, on lira pour attribut de ce natchtron : Flamme. Le Soleil est alors dans le Scorpion, où les Chinois marquent grand feu, comme on le voit aussi dans le tableau.

Les adorateurs de Vishnu [166] célèbrent cette pleine lune en allumant des feux dans le temple, les rues sont illuminées et l’on porte ce dieu en procession.

Les adorateurs de Shiva supposent que la colonne de feu dans laquelle descendit ce dieu fut changée bientôt en colonne de terre. Il suffit, pour entendre cette fiction, de savoir que les anciens astrologues casaient les éléments dans les signes et affectaient le feu au Bélier, la terre au Taureau [167] et que la Lune, dans le natchtron Krittikā, tenait au Bélier et au Taureau, ou aux signes de l’élément dit feu et de celui de la terre.

Dans le mois Shrāvana, où le Soleil arrive à la Vierge, le onzième jour, conséquemment lorsque la Lune a atteint le vingt-deuxième natchtron, ou Shrāvana, qui répond à la fin de décembre ou du Capricorne, on célèbre la naissance de Krishna [168]. Son histoire est rapportée plus au long dans nos cosmogonies comparées. On la trouvera dans le Bagawadam [169] et dans les "Recherches Asiatiques" [170].

Avant d’achever cet aperçu très abrégé de notre travail sur les cosmogonies comparées, et en particulier sur celle des Indiens, et après avoir succinctement indiqué la marche que l’on doit suivre dans ces recherches, nous répéterons encore ce que nous avons dit, qu’on doit souvent tenir compte des constellations du Zodiaque et même des paranatellons ou des constellations extra-zodiacales qui, par leur lever et leur coucher, se lient aux douze signes. En voici un exemple par lequel nous terminerons notre mémoire explicatif du tableau.

On trouve dans le Bagawadam [171] une fable sacerdotale sur un déluge qui a tous les caractères d’une fiction astrologique puisqu’elle s’explique sans peine par les aspects astronomiques. Vishnu, ou le dieu conservateur, y prend la forme de poisson, tel que nous l’avons fait dessiner sous le Capricorne, et tel qu’il est représenté dans le Zodiaque indien des "Transactions", an 1 772. C’est le Poisson austral, qui est dans nos sphères à l’extrémité de l’eau du Verseau et qui se replie sous le Capricorne. Le dieu Soleil, ou Vishnu, uni à cette forme céleste vint, dit-on, se placer près d’un prince vertueux qu’il voulait sauver du déluge afin de recommencer un nouvel ordre de choses. Ce prince évidemment est l’homme du Verseau, le fameux Deucalion des Grecs, qui fut également sauvé du déluge à cause de sa vertu. C’est dans ce même signe que les Chinois placent aussi un prince, Chouen-Heu, sous lequel arriva pareillement le déluge [172].

Dans la fiction indienne, ce prince est le septième Menou ou génie tutélaire qui préside à un des âges, comme l’homme du Verseau est le septième signe à partir du solstice d’été, et comme Saturne, la planète qui y a aussi son domicile, est aussi la septième.

Vishnu, sous cette forme, dit à ce prince vertueux qu’il se placera près de lui, et que dès qu’il sera sur l’océan, au milieu des eaux, il verra paraître un grand vaisseau et un serpent aquatique, que ce serpent servira de câble pour tirer le vaisseau en l’attachant à la grande corne du Poisson, dont lui-même Vishnu aura pris la forme [173].

L’inondation commence, la mer franchit ses rivages, la pluie tombe par torrents. On sent bien que c’est ici une allusion au signe dans lequel va entrer le Soleil, ou au Verseau, premier ruthu dans lequel va se renouveler l’année.

Le dieu protecteur aussitôt se montre sur l’océan, sous la forme d’un poisson brillant comme l’or. On ne pouvait mieux désigner un Poisson, constellation qui renferme une étoile de première grandeur, Fomalhaut, ou la brillante étoile de la bouche du Poisson austral. Le dieu poisson se développe dans une immense étendue, avec une corne énorme, à laquelle le prince attache, avec un câble fait d’un grand serpent, un vaisseau qui tout-à-coup se montre à lui. Heureux d’être ainsi sauvé, le prince chante les louanges de Dieu, qui l’a préservé du déluge et qui veut que sous son règne un nouveau monde renaisse.

Toute cette fiction porte sur un aspect astronomique qui annonçait la fin de l’ancienne année ou du dernier âge, et le renouvellement périodique du temps, ou de l’année qui partait du solstice d’hiver, ou du vingt-troisième natchtron, Dhanistha, qui comprend les étoiles de l’eau du Verseau, constellation qui occupait alors le solstice d’hiver et le berceau de l’année renaissante.

Au moment où le Soleil, placé vers l’extrémité de la constellation du Capricorne et sur le Poisson à longue corne, descendait au sein des flots au couchant, le Verseau, aux portes de la nuit, voyait lever l’Hydre de Lerne et le Vaisseau céleste, qui est au-dessous de cet animal aquatique. Il semblait, en se développant, amener le vaisseau sur l’horizon, au bord duquel paraissait sa tête à l’orient, tandis que la corne du Poisson était aussi à l’horizon à l’occident. Il est nécessaire de prendre un globe céleste pour vérifier ces positions. Voilà quelle a été la base assez simple d’un roman astrologique qu’ont répété beaucoup de peuples, en le dépouillant d’une partie de ce qu’il a de merveilleux dans la fable indienne, et en le dénaturant plus ou moins.

C’est cette fable qui a passé chez les Scythes et dont parle Lucien dans son "Traité de la déesse de Syrie". C’est elle que les Grecs ont répétée et qu’Ovide a mise en vers latins chez les Romains. Enfin, elle a été le type de beaucoup de semblables fictions que l’on trouve chez beaucoup d’autres peuples, avec des retranchements qui ont déguisé son origine astronomique. Elle a été connue des Babyloniens et de Bérose [174] qui dit que le déluge arrive quand les planètes, et conséquemment le Soleil, regardé par eux comme planète, se trouvent dans le Capricorne, c’est-à-dire dans le signe où finissait la dernière saison des Indiens et leur année, lorsque le Soleil était uni au Poisson représenté sous le Capricorne avec une grande corne. C’est le Poisson oxyrhynque dont nous avons parlé dans notre grand ouvrage [175], c’est celui qui se trouve dans la Sphère orientale rapportée par Kirker [176]. II y est uni au fleuve du Verseau, que cette sphère appelle le Nil.

On donnait aussi le nom de Menou aux planètes. La septième, ou Saturne, présidait au Capricorne et au Verseau. C’est peut-être ce qui a donné lieu à Alexandre Polyhistor de dire que Saturne avait prévu le déluge et qu’il s’était servi d’un vaisseau pour se sauver de l’inondation, lui et les diverses espèces d’animaux.

On peut voir ce que nous disons dans notre grand ouvrage sur le déluge [177] et rectifier peut-être ce que nous avons pu dire en appliquant exclusivement aux Égyptiens et au débordement du Nil ce qui a pu avoir un autre objet chez d’autres peuples, et se rapporter à l’époque de la fin du temps ou de l’année et à son renouvellement dans l’ancienne constellation du solstice d’hiver, le Verseau.

Nous croyons qu’il suffit de ce petit nombre d’exemples pour apprendre à ceux qui veulent étudier les fables astronomiques, que les anciens nous ont laissées sous le nom de fables sacrées, l’usage qu’ils peuvent faire de la nouvelle clé que nous introduisons dans l’explication de la mythologie, ou plutôt du complément que nous donnons à celle que nous y avons depuis longtemps introduite.

Si la science ancienne est si peu connue aujourd’hui, c’est que, comme la nature, elle a ses mystères, et qu’on s’est toujours trompé sur son véritable caractère. On s’est persuadé que les anciens savants étaient jaloux, comme ceux de nos jours, d’être entendus, tandis qu’ils mettaient leur gloire à être devinés. Ils savaient que l’homme aime plus encore le merveilleux que le vrai. Ils ont profité de cette disposition de son esprit pour piquer sa curiosité et éveiller son attention.

De là est né l’ingénieux apologue qui instruit sans tromper personne. Il n’en fut pas de même des autres fables. Plus d’une fois nous avons prouvé [178] que des êtres physiques et astronomiques personnifiés sont devenus des hommes et des héros dont les noms sont restés dans les annales des anciens peuples, que des périodes fictives sont entrées souvent dans leur chronologie. Nous ferons voir aujourd’hui comment des images, de purs emblèmes, ont été classées dans l’histoire naturelle et ont été prises pour des animaux réels, tel le Phénix, cet oiseau si fameux par la longue durée de sa vie, par le genre de sa mort et par sa résurrection.

Tacite [179], tout philosophe qu’il était, quand il donnait son opinion, fut quelquefois dupe de celle des autres. Il rejeta, il est vrai, le merveilleux de cette histoire mais il regarda l’existence du Phénix comme incontestable, et d’autres écrivains en ont même admis tout le merveilleux. Comme eux, nous en tiendrons compte aussi mais pour essayer d’en donner l’explication et pour rendre cet oiseau aux fables astronomiques auxquelles il appartient.

Nous avons eu plus d’une fois l'occasion de faire voir que les fables solaires s’étaient reproduites partout sous mille formes. Celle-ci a encore pour objet le Soleil et l’une des plus longues périodes de son mouvement, la période sothiaque ou le cycle caniculaire. L’année religieuse des Égyptiens, n’admettant point l’intercalation d’un jour tous les quatre ans, que nous appelons l'intercalation bissextile, recommençait au bout de quatre années, un jour plus tôt que celle-ci [180]. Ces anticipations d’un jour, venant à se multiplier, produisaient une année entière d’anticipation au bout de 1 460 années bissextiles et les deux commencements d’années alors coïncidaient ensemble, avec cette seule différence que l’on ne comptait que 1 460 années de celles qui avaient des bissextiles et qu’on en comptait 1 461 de celles qui n’en admettaient pas, et que leurs anticipations successives faisaient appeler années vagues. C’est le retour de ces années à leur point primitif qu’on appela période sothiaque, parce que la canicule, appelée Sothis, en ouvrait et en fermait la marche.

C’est la durée de cette période, ce sont ses retours éloignés qui ont donné lieu à l’histoire merveilleuse de l’oiseau symbolique qui la représentait dans les temples, comme le dit formellement Synésius, et comme il nous est aisé de nous en convaincre par le rapprochement que nous allons faire des traits qui les caractérisent l’une et l’autre.

Nous avons vu que la période roulait dans un cercle de 1 461 années vagues. C’était aussi dans un cercle de 1 461 années qu’était renfermée la durée périodique de la vie du Phénix, si nous en croyons Tacite [181]. La mesure de l’une était celle de l’autre parce que l’une était la chose et que l’autre en était l’image.

C’était au lever du Soleil que finissait et que recommençait la période. C’était au lever du Soleil qu’on faisait mourir et renaître le Phénix [182].

C’était vers le solstice d’été, à l’époque du débordement du Nil, que la période se renouvelait au lever de la canicule, qui était regardée comme le signe de l’inondation ainsi que du renouvellement de l’année [183]. On prit également le Phénix pour symbole du débordement, comme il l’était de l’année caniculaire [184].

***

"On fit pour la Lune ce qu’on avait fait pour le Soleil. On lui assigna aussi ses demeures, ses maisons, mais on en porta le nombre tantôt à 27, tantôt à 28, nombre à peu près égal à celui des jours qu’elle met à achever sa révolution ou à revenir au même point du ciel, à la même étoile, d’où elle était partie au commencement du mois. La Lune s’avançant chaque jour d’environ 13° dans sa carrière, chaque jour elle fixait dans les cieux les divisions de son mouvement périodique pendant le mois. Chacune de ces divisions eut son nom et fut souvent désignée par un symbole particulier, comme on le voit dans ce tableau. Les Persans les appellent des kordehs, les Arabes des maisons, des stations, les Chinois des sou, les Indiens des natchtras ou natchtrons."

[140] Rech. Asiat., tom. 2, pag. 233, trad. In-4°

[141] Ibid., pag. 337

[142] Eustathe, Iliad., v. 633

[143] Origine des cultes, tom. 3, part. 2, pag. 35

[144] Hyd. Comm. ad Ulug-Beigh, pag. 31-33

[145] Oper. et Dies, v. 303

[146] Saturnal, liv. 1, ch. 19, pag. 233 et 154

[147] Origine des Cultes, tom. 3, part, 2, pag. 33

[148] Porphyr. de Antr. Nymph., p. 124

[149] Origine des Cultes, tom. 2, part. 8, pag. 105, etc.

[150] Ibid., tom. 3, part. 2, pag. 97, etc.

[151] Natal. Comes., liv. 4, pag. 316

[152] Origine des Cultes, tom. 3, part. 2, pag. 114, etc.

[153] Rech. Asiat., tom. 1, pag. 195

[154] Ci-dessus, pag. 7.

[155] Manuscrit, Biblioth., n° 18. Pouranand du Poisson

[156] Plutar.,T. 2, p. 941

[157] Kirk. Œdip., tom. 2, part. 2, pag. 256

[158] Sonnerat, tom. 2, pag. 85

[159] Diod., liv. 4, ch. 32

[160] Cic. in Verrem de Sig., ch. 44 ; et de Supplic., ch. 72

[161] Strab., liv. 13, pag. 575

[162] Dionys. Perieget, v. 809. Plut., tom. 1 Vit Marcell., pag. 309

[163] Chron. Pasch., pag. 261

[164] Porphyr. de Antr. Nymph.

[165] Système des Brachm., pag. 99. Rech. Asiat., tom. 1, pag. 187

[166] Rech. Asiat., tom. 1, pag. 83

[167] Origine des Cultes, tom. 1, pag. 198

[168] Niebhur, tom. 2, pag. 21-23

[169] Bagawad., liv. 10, pag. 271, etc.

[170] Rech. Asiat., trad., tom. 1, pag. 178, etc.

[171] Trad. des Rech. Asiat., t. 1, p. 170, etc. Bagawad., trad. d'Obsonville

[172] Souciet, tom. 3, pag. 33

[173] Ibid., pag. 173

[174] Sénec. quœs-nat., liv. 3, ch. 29, pag. 739

[175] Origine des Cultes, tom. 2 , ch. 17, pag. 227

[176] Œdip., tom., part. 2 , pag. 201

[177] Œdip., tom. 3, part. 1 , pag. 180, etc.

[178] Origine des Cultes, tom. 1 , liv. 3

[179] Tacit. Annal., liv. 6, ch. 28

[180] Censorin, de Die nat., ch. 18, pag. 107

[181] Tacit. Annal., liv. 6, ch. 28

[182] Hor. Apoll., liv. 2, ch. 54

[183] Porphyr. de Antr. Nymph., pag. 264



[184] Ibid., liv. 1, ch. 32

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire